7 de enero de 2020

Antoine Volodine

La literatura escrita en las grandes lenguas, por extensión y por tradición, es, con demasiada frecuencia, endogámica y autorreferencial; por ejemplo, la literatura francesa,  que ha conseguido incluso crear un estilo propio. El mundo de la edición, tomado en su conjunto, tiende, a su vez, a encerrarse en el territorio, vasto pero restringido, de la lengua correspondiente; otro ejemplo, el caso anglosajón, alarmantemente mermado de traducciones de otras lenguas. Además, está la cuestión de las filias y fobias populares; España, por ejemplo, también en cuestiones literarias, es devotamente anglófila: nada justifica la cantidad ingente de literatura, sobre todo norteamericana, que nos llega como la última revelación mundial pero que no cumple con los estándares de calidad mínimamente aceptables; en cambio, existe un sentimiento francófobo, no sé si debido a la invasión napoleónica, a la inevitable vecindad o a la pura envidia, que restringe la publicación de autores franceses hasta extremos inexplicables. Solo se me ocurre esa explicación para esclarecer los motivos por los que autores como Antoine Volodine, autor de más de treinta libros, firmados con sus varios heterónimos, tienen una presencia tan exigua en el mundo editorial en castellano; un escritor que debería figurar en el irrefutable podio de los novelistas franceses vivos, junto a Pierre Michon, Pascal Quignard o Pierre Bergounioux, por ejemplo, por más que su escritura, que se resiste a la clasificación, impugna cualquier intento de definición colectiva, ni en el sentido de reconocerse en una tradición literaria concreta —ver el texto insertado más abajo—, ni en la clasificación por géneros: ficción política, ucronías, distopías, ciencia-ficción...

Este post, necesariamente breve, incluirá unas breves Notas de Lectura de dos de los títulos disponibles en castellano; para los lectores que quieran profundizar en el autor, existe un recurso impagable en la red, Para-Post-Exotisme. La plus grande confusion se mit araignée, con interesantes aportaciones relativas a la categoría literaria que él mismo acuñó y al propio autor. A pesar de ese recurso, no me resisto a transcribir, a continuación —perdón por la extensión—, el artículo Escribir en francés una literatura extranjera, un iluminador resumen de la propuesta estética —y también ética— del escritor francés:
INTRODUCTION
Il y a bientôt vingt ans, j’ai commencé à écrire pour un public. Mais ce n’était pas pour moi le début de l’écriture. J’avais déjà écrit plusieurs livres auparavant. Car depuis mon enfance, depuis mon adolescence, disons, j’écrivais. Je composais des romans et des recueils d’histoires qui correspondaient exactement à mon goût et à mes attentes de lecteur. Comme il s’agissait de me faire plaisir, et non d’atteindre à travers les textes une reconnaissance sociale, un statut intellectuel, je ne les imposais pas à mon entourage. Je ne les faisais pas circuler, même auprès des gens qui m’étaient très proches. Pendant longtemps, pendant près de quinze ans, j’ai donc écrit des livres pour un public minuscule. Des livres bizarres, fantastiques, oniriques et clandestins, qui s’adressaient à un unique lecteur.
Ensuite, un premier roman est paru, «Jorian Murgrave», et je me suis mis à travailler pour satisfaire un véritable public. J’ai commencé à imaginer les lecteurs que je pouvais avoir: un public réel, formé d’hommes et de femmes qui partageaient la même sensibilité littéraire et les mêmes goûts que moi. Ils partageaient avec moi la même vision du monde, les mêmes peurs, les mêmes certitudes, ils désiraient partager les mêmes rêves et, disons-le tout de suite, la même révolte contre le monde tel qu’il est, contre la condition humaine dans ses aspects politiques et métaphysiques.
Et donc, très naturellement, mes livres publiés ont prolongé la tradition des livres non publiés qui les avaient précédés. Autour du roman et dans le roman, ils supposaient une forte sympathie entre ceux et celles qui parlaient et ceux et celles qui les écoutaient. J’ai introduit dans mes univers imaginaires des lecteurs qui n’étaient pas neutres. Mes livres supposaient au départ une culture commune aux narrateurs et aux auditeurs, une mémoire commune, une sensibilité littéraire et humaine communes. Livre après livre, cette mémoire et cette culture se sont construites. Elles se sont précisées, elles se sont approfondies. Finalement, tout cela a pris la forme concrète d’un édifice romanesque, qui compte aujourd’hui plus d’une quinzaine d’ouvrages.
Dans mon esprit et dans l’esprit de mes personnages, qui souvent occupent une place en dehors de la société, en dehors même de l’espèce humaine, tout en restant des écrivains et des conteurs, la fiction n’a pas besoin de s’appuyer sur le réel journalistique, quotidien, pour exister. L’ensemble est réaliste et parfois hyper-réaliste, les personnages meurent, souffrent, sont  amoureux, combattent, mais la relation avec le monde géographique et historique contemporain est toujours très déformée, un peu comme dans un rêve, où la mémoire combine le familier et l’étrange. C’est une relation où le lecteur est plongé au cœur d’une réalité où tout est à découvrir, et où il faut passer par la mémoire collective et l’inconscient collectif pour retrouver de la familiarité. J’en parlerai tout à l’heure plus en détail.
Il y a un aspect de cette extériorité sur quoi je voudrais insister tout de suite. Cette masse romanesque a été écrite, a été construite sans tenir compte des goûts, des tendances, des traditions du monde éditorial dans lequel elle a pris place. Jusqu’au début des années 90, et alors que j’avais déjà publié plusieurs ouvrages, ma connaissance de la littérature française contemporaine était absolument nulle. J’écrivais à l’instinct, des textes que je sentais l’urgence d’écrire pour moi et pour mon public imaginaire, mais sans me soucier une seconde du monde littéraire concret dans lequel ils allaient aboutir. Quant aux débats théoriques sur la littérature qui agitaient le milieu critique français, et qui ont considérablement influencé les nouvelles générations d’auteurs français depuis trente ans, je n’ai pas songé à m’y introduire en produisant des textes influencés par telle ou telle école. Je ne me sentais pas concerné. Pour moi, c’était la planète Mars. Quand je suis entré comme auteur aux Éditions de Minuit, en 1990, je n’avais jamais entendu parler du minimalisme. Je suis toujours resté à l’écart de ces conflits et de ces passions-là, très, très loin, avec des informations là-dessus qui étaient toujours très rudimentaires.
Pour simplifier, on peut dire que dès l’origine mes romans ont été étrangers à la réalité littéraire française. Ils forment un objet littéraire publié en langue française, mais pensé en une langue extérieure au français, indistincte quant à sa nationalité. Une langue non rattachée à une aire géographique déterminée, et clairement «étrangère», puisqu’elle ne véhicule pas la culture et les traditions du monde français ou francophone.

LA LANGUE
J’aimerais précisément m’arrêter sur ce problème de la langue.
L’idée fausse la plus répandue, c’est qu’écrire en français signifie prendre obligatoirement sa place dans la culture française et francophone. On croit, sans réfléchir, que la langue d’un écrivain porte par définition l’héritage culturel et même l’empreinte de tous les écrivains qui ont illustré cette même langue depuis des siècles. On croit, sans réfléchir, que la langue d’un écrivain prend la suite de tous les orateurs savants et de tous les porteurs populaires de cette langue. Cela conduit souvent les écrivains à se sentir investis d’un rôle de représentation diplomatique et même à se réclamer d’une «patrie linguistique». Avec arrogance, avec des envolées lyriques qui me donnent froid dans le dos, parce que je ne vois guère la différence entre ces affirmations et un chauvinisme que je déteste, j’entends des poètes et des romanciers francophones dire des choses dangereuses de ce genre: «Ma patrie, la langue française» ; ou: «Ma patrie d’adoption, la langue française».
Chacun donc a tendance à croire qu’il est un bon citoyen de sa propre langue (langue maternelle ou langue d’adoption), et qu’il a le devoir moral et intellectuel de rattacher cette langue à un territoire national, à des institutions, à une histoire, à des populations précises et à un drapeau. Un bon citoyen et même un citoyen agressif, prêt à en découdre pour défendre son identité nationale.
Or, même s’il est exact que la langue véhicule toute l’histoire, bonne et mauvaise, du pays ou des pays où elle est parlée, et, pour ce qui nous intéresse, toute son histoire poétique et intellectuelle, elle véhicule aussi beaucoup d’autres éléments empruntés ailleurs.
Car la langue est aussi (et très, très largement à notre époque, depuis les cinquante dernières années) un immense territoire international. C’est un territoire indifférencié qui a reçu les traductions de très nombreuses autres langues du monde, et qui non seulement les a reçues, mais les a adoptées, les a portées, les a intégrées. La langue est un outil neutre qui accueille toutes les composantes de l’humanité, et qui ne peut plus être annexé par une seule composante nationale. À partir du moment où des traductions existent, chaque langue du monde porte en elle l’héritage de TOUTES les cultures du monde.
En m’appuyant sur ce raisonnement, j’ai donc plaisir à dire que le chinois est la langue des poètes de la dynastie Tang, la langue des grands romans-fleuves du XVIIe siècle (Si da qi shu), la langue du théâtre-opéra, la langue des excellents romanciers chinois contemporains rassemblés dans cette salle; mais que c’est aussi, dès lors que des traductions existent et ont été diffusées, la langue de Beckett, de Dostoïevski, de Balzac, de Dos Passos, la langue du «Livre des morts tibétain».
Et, de même, on peut dire que le français littéraire est lui aussi la langue du «Livre des morts tibétain», la langue de Pouchkine, la langue de Li Bai: autrement dit, une langue qui porte des cultures, des philosophies, des préoccupations poétiques et littéraires qui n’ont rien à voir avec les habitudes de la société française et de l’univers francophone.
Eh bien, j’ai eu pour souci d’écrire mes livres dans cette langue de traduction. Au niveau du vocabulaire et de la syntaxe, avec toute la souplesse, la richesse, le génie de la langue française, mais pour servir une culture qui soit étrangère aux habitudes de la société française et de l’univers francophone. La langue de mes livres porte, avant tout, la culture de mes personnages, des écrivains-chamanes que je mets en scène et des lecteurs que j’imagine. Elle véhicule leur culture subversive, cosmopolite et marginale, une culture de rêveurs et de combattants politiques qui ont perdu toutes leurs batailles et qui ont encore le courage de parler, alors qu’ils ont aussi perdu la bataille contre le silence. C’est pourquoi ici je ne suis pas ambassadeur de la langue française. Je suis seulement ambassadeur de mes personnages. À quoi ressemble le langage dans lequel ils s’expriment ? À une langue variée et parfois pauvre, parfois mutilée ou, au contraire, luxuriante et baroque.
Leur langue n’est pas une langue nationale, mais la langue transnationale des conteurs d’histoires, des exclus, des prisonniers, des fous et des morts. Je suis ici porte-parole de leurs voix. Dans mes livres, je traduis en français les fictions qu’ils produisent pour protester contre le réel, pour saboter le réel ou pour transformer le réel.
Voilà pour la langue.

L’UNIVERS ÉTRANGER, LA MÉMOIRE FAMILIÈRE
Je vais maintenant revenir sur le caractère véritablement étranger de cette littérature. Lorsqu’une romancière chinoise comme Ying Chen, par exemple, écrit en français, elle traduit et transmet en français une culture chinoise, qui n’est étrangère que d’un point de vue français, mais qui ne l’est pas, évidemment, pour des lecteurs familiers de la Chine. C’est une culture dont on peut dire qu’elle est relativement étrangère. Mais pour moi, écrire en français une littérature étrangère n’est pas seulement s’écarter de la culture francophone, c’est aussi éviter que les points de référence de la fiction renvoient à un pays précis, géographiquement situé sur une carte. Je cherche à explorer et à représenter une culture non pas relativement, mais ABSOLUMENT étrangère.

LES NOMS
J’apporte donc tout d’abord une attention spéciale au choix des noms de mes personnages. C’est en effet par la nomination des narrateurs que peut se dessiner un territoire culturel précis. J’essaie d’éviter cela.
Mes personnages portent des noms culturellement hybrides. Voici quelques exemples : Dondog Balbaïan, Jessie Loo, Volup Golpiez, Irina Kobayashi, Anton Breughel, John Schlumm, Manuela Draeger, Maria Schrag, etc.
En aucun cas le narrateur ne renvoie par son nom à une identité nationale précise, à l’exception de mon roman «Lisbonne, dernière marge», où l’héroïne Ingrid Vogel est une terroriste de la Fraction Armée Rouge en 1977. (Et, à ce propos, je voudrais rappeler que je parle beaucoup de révolutionnaires et de combattants armés dans mes livres, mais que ce sont des égalitaristes, généreux et anarco-communistes, qui n’ont rien à voir avec l’islamisme, les guerres de religion ou l’assassinat en masse des civils. C’était une parenthèse.)
De façon délibérée, donc, je rends impossible une image nationale de mes narrateurs. Ils deviennent ce que je veux qu’ils soient : des voix et rien d’autre. Des voix décalées, hors de tout territoire et de toute ethnie, des voix internationalistes d’hommes et de femmes en combat contre les réalités désagréables du monde. À plusieurs reprises, on m’a dit que les noms de mes personnages faisaient penser à une liste de prisonniers de guerre, comme pendant la Résistance, au temps où les nazis placardaient sur les murs des listes d’otages étrangers. J’accepte volontiers cette image, d’autant plus qu’elle associe l’identité étrangère à un combat mortel contre l’oppression.

LES LIEUX
Outre les noms de mes narrateurs, qui devraient véhiculer automatiquement des repères culturels et qui, ici, ne le font pas, les noms des lieux ont une grande importance. Le lecteur a tendance à chercher dans le décor des points de repère signifiants. Là encore, je me suis toujours appliqué à interdire toute identification nationale. J’ai procédé de la manière suivante, avec trois méthodes:
1. Les lieux sont fortement définis, mais ils ne portent pas de valeur nationale distincte : par exemple: une prison dans un pays chaud, un dortoir dans un camp, un hôpital psychiatrique, une ville tropicale en ruines, un village au bord d’un fleuve, un paysage de steppes, parfois un vieux port chinois anonyme, mais sans l’exotisme qui permettrait une identification.
2. Ou encore, je nomme des lieux, mais la nomination renvoie à une civilisation imaginaire, déchirée par la guerre civile depuis des siècles : par exemple une bourgade d’Amazonie, Puesto Libertad, ou un immense  territoire d’Asie Centrale, la Balkhyrie.
3. Il arrive aussi que les lieux soient géographiquement identifiables. Dans ces villes qu’on peut trouver sur une carte, que j’ai choisies parce que je les connais et que je les aime, se déroule une partie de la rêverie des narrateurs : Lisbonne, Macau, Hong Kong. Toutefois, ces lieux deviennent un décor où les personnages ne sont pas intégrés, même si souvent ils essaient de l’être. Le narrateur ne s’y trouve pas en tant que touriste, mais il y reste étranger. Il s’y trouve en transit ou en exil, en tout cas toujours dans une situation instable et jamais avec le statut d’habitant normal de l’endroit.

LE TEMPS
La datation pourrait permettre aussi de renvoyer à une culture nationale précise. Or, dans mes livres, en général, l’action se passe à une époque indéfinie, comme si était en vigueur un calendrier historique différent de celui que nous connaissons. Historiquement, c’est un temps marqué par des événements significatifs et forts : par exemple, «deux mille ans après la révolution mondiale», «pendant l’entre-deux-guerres», «quatre siècles après la guerre noire», «cent cinquante ans avant la révolution mondiale», «pendant les camps», ou encore «pendant la domination des sorciers», ou encore «juste à la fin de l’espèce humaine».
Tout cela fabrique des contextes qui ancrent la fiction dans une réalité, mais qui l’éloignent d’une réalité identifiable historiquement et géographiquement. Je le répète encore une fois : ce que je décris, ce que j’explore livre après livre, est un univers réaliste, mais décalé, étranger de façon absolue, dont les personnages principaux sont peu familiers au monde de l’économie libérale qui nous entoure, puisque ce sont des révolutionnaires, des golems, des chamanes, des malades mentaux et des sous-hommes.
Un tel édifice romanesque n’aurait aucune solidité s’il était alimenté par le fantastique et la fantaisie seuls. Il serait semblable à d’autres constructions qu’on rattache à la tradition littéraire du merveilleux ou du  nonsense, ou à celle, plus contemporaine, de certaines branches de la science-fiction.
Mon objectif est bien éloigné de ces traditions-là. Je souhaite décrire des mondes intérieurs, des zones où se rencontrent la pensée consciente, le fantasme et l’inconscient sous sa double forme: l’inconscient individuel et l’inconscient collectif. Je veux déplacer et désincarner tout cela pour que disparaisse toute possibilité de lien national entre le narrateur et la fiction. Je veux enchaîner tout cela à une mémoire qui soit commune à tous les individus quel que soit leur origine, et, en gros, à tout être humain connaissant l’histoire de l’humanité au XXe siècle.

LA MÉMOIRE COLLECTIVE
J’ai parlé d’inconscient collectif. Ce qui est avant tout à l’origine de mon travail, c’est la mémoire collective. Il y a en effet une volonté constante de s’approprier et d’utiliser, dans chaque livre, à chaque page, à chaque moment, des souvenirs communs aux individus qui ont traversé le XXe siècle. Au-delà des individus, bien entendu, et quelle que soit leur expérience réelle des événements, il y a l’expérience historique, sur plusieurs générations.
Lénine prophétisait «un siècle de guerres et de révolutions». C’est bien là que s’abreuve la mémoire de mes personnages. Lénine ne s’est pas trompé dans sa prédiction, mais il a été trop optimiste. Sa description prémonitoire du XXe siècle était incomplète. Aux guerres et aux révolutions se sont superposés les massacres ethniques, la Shoah et les camps: camps de concentration, camps de travail, camps de rééducation, camps de réfugiés, et j’en passe, car les variantes ont été nombreuses.
Le XXe siècle malheureux est la patrie de mes personnages, c’est la source chamanique de mes fictions, c’est le monde noir qui sert de référence culturelle à cette construction romanesque. La langue de mes personnages n’est pas une langue nationale, c’est la langue générale de ceux qui subissent le malheur et qui, pour contrer le malheur, trouvent des solutions révolutionnaires qui pourraient fonctionner mais qui ne fonctionnent pas, des solutions insurrectionnelles qui pendant un moment éphémère concrétisent une espérance, puis dégénèrent, se dégradent, deviennent un malheur d’un type nouveau.
La langue de mes narrateurs et de mes narratrices n’est pas une langue nationale, c’est dans certains cas à peine une langue humaine, c’est la langue de ceux qui malgré leurs efforts, tout au long du XXe siècle, ont connu seulement des défaites. En se référant en permanence aux tragédies archivées dans la mémoire collective, mes personnages épuisés prennent la parole et écrivent des livres. Ils parlent une langue étrangère au monde réel, ils recourent à des formes littéraires étrangères à la littérature du monde contemporain, ils s’expriment en inventant des formes décalées de roman: des romånces, des Shaggås, des entrevoûtes, des narrats.

Antoine Volodine, «Écrire en français une littérature étrangère», Chaoïd, n° 6, automne/hiver 2002, p. 52-58.
El post-exotismo el diez lecciones. Lección Once. Antoine Volodine. Surplus Ediciones, 2014. Traducción de Iván Salinas
«Siempre hablamos de otra cosa. Siempre».
Lutz Bassmann, escritor —en realidad, uno de los heterónimos del propio Volodine; este juego de otorgar realidad física a algunos noms de plume es una constante en el texto, además de una de las bases sobre las que se asienta el juego que propone el autor—, muere en prisión, después de veintisiete años de reclusión, en presencia de un extraño nosotros; extraño, porque es falso —tan ficticio como todas las convenciones literarias—, ya que bajo su sombra se agrupa un heterogéneo conjunto de personales provenientes de las novelas publicadas bajo la autoría de Antoine Volodine y de autores ficticios, algunos de los cuales figuran como coautores de esta Lección Once, y cuyos trabajos se incluyen en la bibliografía, en su mayor parte imaginaria —que registra todos los libros publicados por Volodine hasta la fecha atribuidos a otros autores, e incluso algunos de los títulos que el autor o alguno de sus heterónimos publicarían en el futuro, con la fecha de la eventual publicación y la autoría bajo la que se llevaría a cabo, que se incluye como apéndice —por ejemplo, Ingrid Vogel, incluida en esa bibliografía, es también uno de los protagonistas de Lisbonne, dernière marge (1990); y Iakub Hajjbakiro, otro de los autores reseñados, corresponde a un personaje que es escritor en Solo de viola—, junto a algunos heterónimos de Volodine. En todo caso, personajes que dan otra vuelta de tuerca a nivel ficcional —hasta una especie de ficción-ficción— refuerzan el edificio de su obra con una coherencia que solo funciona a nivel nominal, ya que personajes con un mismo nombre pueden variar el resto de sus características de un libro a otro; se trataría, por tanto, de una unificación de su universo fantástico puramente imaginaria, y que abren nuevas perspectivas metaficcionales que seguirán siendo explotadas en algunas de sus obras posteriores.

Aunque solo sea por el párrafo anterior, cabe preguntarse qué es, en realidad, El Post-exotismo en diez lecciones. Lección Once (Le post-exotisme en dix leçons, leçon onze, 1998): ¿un texto programático de una nueva corriente artística? ¿Una obra de ficción? ¿Una combinación de ambos? Bueno, de todas las preguntas que puede provocar el libro, esta es, tal vez, la más improcedente.

No espere, pues, el lector, encontrar un conjunto ordenado de propuestas estéticas, con cuadros esquemáticos, enumeración de los antecedentes e hipótesis de futuro que le aclaren el sentido y el alcance del post-exotismo. Es más, si fruto de una lectura atenta le parece que puede extraer del texto una serie de principios fundacionales del movimiento es que ha caído en la trampa que le ha tendido el sagaz Volodine bajo cualquiera de sus múltiples personalidades: cada vez que crea que ha entendido algo, esa es la manifestación de que no ha entendido nada.
«La lista que doy, constituida con informaciones voluntariamente erróneas, está incompleta y respeta el principio post-exótico según el cual una porción de sombra perdura siempre en las explicaciones, o en las confesiones, modificándolas, al punto de volverlas inservibles para el enemigo. La lista en apariencia objetiva no es sino una manera sarcástica de decir al enemigo, una vez más, que no enterará de nada».
Pero volvamos a ese nosotros testigo de los últimos momentos de Lutz Bassmann, un nosotros que se convierte en voz narradora pero cuyos integrantes tienen en común su extinción —de hecho, es imposible deducir desde dónde y en qué tiempo interviene. Bassmann, el último superviviente, está a punto de integrarse —no de diluirse, porque cada componente sigue individualizado en ese conjunto— en ese pronombre personal, primera persona del plural, con cuyo traspaso —él, que era el depositario del legado de todos los que le precedieron en la desaparición— se derrumbará el edificio mental construido colectivamente: el mismo post-exotismo.
«Habíamos llamado a eso post-exotismo. Es decir, una construcción relacionada con el chamanismo revolucionario y con la literatura, con una literatura manuscrita o aprendida de memoria y recitada, porque algunas veces, durante largos años, la administración nos prohibía poseer soportes de papel; es decir, una construcción interior, una base de repliegue, una secreta tierra de asilo, pero también algo ofensivo que participara en el complot que algunos individuos emprendían a mano limpia contra el universo del capitalismo y contra sus innumerables ignominias».
La raíz anarquista y revolucionaria de Bassmann y de todos los post-exotistas interrogados a continuación en el locutorio de la prisión, fundada en la aversión —incluyendo en ese sujeto a todos los "prestanombres"; el yo es una entidad caduca, una pura convención a la hora de atribuir una utopía, ya que la distinción que pretende establecer con el resto de las voces es completamente ficticia, y tampoco el nosotros es capaz de identificar al sujeto— es amenazada por los estamentos de la literatura oficial, que manda a sus espías con el fin de acabar con la insurrección, sin tener en cuenta que la censura, cada vez que habla, miente.
«El discurso literario del post-exotismo sigue con tanta facilidad las sinuosidades y rupturas de un interrogatorio policíaco. Se toman precauciones, en particular la que concierte a la encriptación de los nombres y las acciones, además de que se concibe una finta narrativa, consistente en no contar lo que exigiría la lógica de la ficción, en comadrear con toda la perfidia del mundo, en hablar demasiado con el único fin de ganar tiempo, en hablar de otra cosa».
Al parecer, uno de los principios explícitos de las obras post-exotistas es la incertidumbre en el plano temático, en el temporal y, por supuesto, en el autoral: la materia es difusa, inaprensible, e incluye la pretensión de una mitología fundacional cuya semilla permanecerá en estado de latencia hasta que algún "prestanombres" la recupere; el tiempo, indefinido, ilusorio, es un presente continuo que abarca el pasado y se proyecta hacia el futuro; y tanto en los sujetos activos de la narración como en la identidad de los autores, la indeterminación es la única regla.

Solo de viola. Antoine Volodine. Adriana Hidalgo Editora, 2013
Traducción de Ana Becciú 
Tres individuos presos son excarcelados anticipadamente, la tarde de un veintisiete de mayo, de su condena al otorgárseles el beneficio de una libertad condicional a la que no se han hecho legalmente acreedores. Desubicados en una situación desacostumbrada, coincidirán con algunos sujetos inadaptados —un pájaro que no ha podido emigrar debido a una herida en un ala y un payaso— cuyo nexo en común es el movimiento de resistencia contra el gobierno, y que han sido, en mayor o menor medida, represaliados por esa militancia. Este es el punto de partida —aunque es difícil concretar ese concepto en cualquier novela de Volodine— de Solo de viola (Alto solo, 1991), una de las primeras novelas publicadas del prolífico autor francés, que sitúa la acción en una ciudad sin nombre de un enigmático país cuyo régimen político hace referencia a La Fronda, la insurrección de la aristocracia francesa durante la regencia de Ana de Austria entre 1648 y 1653, antes de que Luis XIV alcanzara la mayoría de edad.
«[...] algo instintivo, inscrito sin duda en el patrimonio genético de la especie, lleva a las masas humanas a apoyar a quien promete desolación y matanza. Un impulso misterioso anima a las mentes en forma colectiva y las desvía hacia lo peor. Basta con designar ante la opinión pública a un enemigo más allá de las fronteras para que esta, en una sola noche, se convenza de la necesidad de una guerra y forme un bloque en torno a nuestros soldados; para que, después de una sola jornada dedicada a orquestar la mentira, pleibiscite los bombardeos y reclame la victoria a cualquier precio; ávidamente se abrevan las masas en la propaganda marcial».
Pero ese movimiento de resistencia está compuesto de un heterogéneo conjunto de inadaptados movidos por los motivos más dispares; sin embargo, los personajes que componen las fuerzas vivas del frondismo no son mucho mejores. No es solo que la predisposición de los recién liberados no sea la mejor para reestrenar su libertad, sino que todo aquello que les espera en las calles parece conspirar para dificultarles esa readaptación.

El relato de los hechos acaecidos en la noche de ese mismo veintisete de mayo conlleva el cambio del narrador y se ubica en un circo que ha sido alquilado por las autoridades para llevar a cabo una especie de conmemoración oficial, un "mitin-espectáculo". El cuarteto de cuerda contratado interpreta las piezas programadas, una de las cuales ofende a la delegación gubernamental, circunstancia que acaba degenerando en un abucheo general y en un desorden prácticamente incontrolable. La actitud de los representantes oficiales busca el definitivo triunfo de la cultura popular —un solo pueblo, una sola cultura: los héroes de la multitud acorralando a los obreros y a los intelectuales— sobre la cultura elitista —«los aficionados a la música dudosa, los que se comprometían con artistas "negros", con los piojosos del Sur»—: los instrumentos del cuarteto alcanzan su destino usados como porras para golpear a los obreros.

Solo de viola no es la única novela de Volodine inscrita en un ambiente neblinoso, opaco, de temperatura desagradable. La ciudad no tiene la localización bien ubicada, parece compuesta solo de arrabales; se adivina ruina y poca salubridad. Incluso sus habitantes parecen forasteros. Una extraña angustia, mezcla de prevención y de miedo, parece envolver a los personajes, preparados para unos incidentes que no acaban de suceder nunca, sumidos en un estado de latencia que tanto puede derivar hacia la completa inconsciencia como hacia el delirio más irracional.

1 comentario:

for genetic dijo...

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