Carnet de Notes 2001-2010. Pierre Bergounioux. Éditiones Verdier, 2011 |
Nota del editor:
« Pour des raisons qui touchent à mes origines, à ma destinée, j’ai ressenti le besoin d’y voir clair dans cette vie. La littérature m’est apparue comme le mode d’investigation et d’expression le moins inapproprié. Elle est porteuse, comme l’histoire, comme la philosophie, comme les sciences humaines, d’une visée explicative, donc libératrice. Elle peut descendre à des détails que les discours rigoureux ne sauraient prendre en compte parce qu’il n’est de science que du général.
Les notes quotidiennes ne diffèrent pas, dans le principe, de ce que j’ai pu écrire ailleurs. Les autres livres se rapportent aux lieux, aux jours du passé, le Carnet à l’heure qu’il est, au présent. »
Extracto:
1991. Que de choses j’avais oubliées ! Elles seraient comme si elles n’avaient jamais eu lieu, sans les notes que j’ai prises au jour le jour. La vie se perd à mesure. C’est l’artifice de l’écriture qui permet, seul, de tenir l’oubli qui nous talonne en respect, de sauver quelque chose de ce qui s’est passé. Ça effraie.
Ve 13.10.2006
Le TGV, ponctuel, se présente à sept heures et le soir descend lorsqu’il retrouve l’air libre. Je suis assis à l’étage d’une rame en duplex. Tout me dit qu’on a changé d’ère, que je suis du passé. Autour de moi, des gens jeunes. Devant, un couple, trente-cinq ans, a allumé un ordinateur portable. À gauche, une jeune femme a fait de même. Comme j’associe ces machines à l’exploitation mécanique de l’information, à l’élucidation des vieux mystères, mon premier sentiment est qu’un peuple de savants a supplanté les esprits vétustes, sous-équipés, comme le mien. Mais il s’avère que les deux, devant, jouent au billard électronique, dont l’écran reproduit, très fidèlement, la boule, les plots, les chicanes, les leviers de renvoi. À gauche, on regarde des dessins animés et, un peu plus loin, un voyageur feuillette Paris Match, comme en 1959, par exemple. Le sentiment que tout a changé le cède à son contraire. C’est la même humanité sans espoir, sans but qui traverse la nuit à 250 km/h. Fatigué. Je ferme les yeux et suis tiré du sommeil où je ne m’étais pas vu passer, par la voix préenregistrée annonçant l’arrivée en gare de Rennes.
Ma 22.7.2008
En sortant de la pharmacie, j’ouvre un paquet de cigarettes et abandonne cavalièrement l’enveloppe de cellophane au vent. Ce qui suscite la réprobation de Paul, moraliste vétilleux, intransigeant. Je lui oppose que je mène, ici, une vie de prolétaire, de salarié agricole, que la société les traite injustement et qu’ils sont justifiés à prendre des libertés avec la société, comme de boire de la bière dans une voiture, sur un parking de supermarché, ou de jeter des trucs par terre. J’ai droit à une petite homélie.
Je 13.11.2008
Le mot jazz, en néon bleu, brille discrètement à la terrasse. Je songe que je n’aurai à peu près rien su de Paris, rien vu que les établissements universitaires et les librairies, occupé que j’étais à réparer les dommages et les pertes inhérents au fait de naître à Brive, au milieu du siècle dernier. Nous nous attablons rue des Lombards, dans un restaurant nommé Le Chant des Voyelles. Près de nous, un homme, seul, s’est fait servir des huîtres qu’il gobe posément. Que de gestes, de libertés m’ont été d’entrée de jeu et me demeureront jusqu’au bout étrangers !
[…]
À Courcelle peu avant dix heures. Le ciel est clair, la pleine lune illumine des bancs finement gaufrés de pâles nuages. Il fait plus froid et l’inquiétude me prend lorsque je longe les arrières de la résidence et, plus encore, remonte le chemin des Buttes. Il ne passe plus personne, à cette heure, et si je dégringolais, ce n’est pas avant demain matin qu’on retrouverait ma dépouille.
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